L'art contemporain et nous. Part One
Aujourd’hui Malcie va vous parler d’art contemporain.
Il est de très mauvais ton de s’afficher hermétique à l’art contemporain.
Ou alors en chuchotant, et
encore, après avoir vérifié que celui à qui vous faites cette confidence
honteuse ne cherche pas à vous piéger.
Et
là, comme certains avant vous, vous commettez l’irréparable, vous ne vous
méfiez pas, au lieu de noyer le poisson et répondre « Et ben écoutes, ça va bien, et toi, tes projets, ça
avance ? », vous lâchez tout.
« J’ai trouvé ça franchement super nase. Un vide sidéral et dix pages de conceptualisation à la con. C’est à peu près aussi intéressant qu’une notice de crème antirides »
En un éclair vous comprenez que
ce n’était pas la bonne réponse. L’œil de l’autre s’éteint progressivement, son
sourire reste figé alors qu’il se détourne lentement pour attraper, sans même
regarder, un verre de vin blanc. Un seul. Vous restez planté là, cherchant un appui
autour de vous.
Si vous le voulez bien, nous allons décomposer ensemble
la situation, et ainsi vous allez mieux comprendre vos erreurs.
Tout d’abord, il y a fort à
parier que vous avez mal évalué votre interlocuteur. Pourtant, quelques signes
avant-coureurs auraient pu vous mettre sur la piste… Pour les garçons, écharpe
légère, grise ou noire, faisant un tour - un seul - autour du cou, veste
cintrée noire ou blouson de l’armée, paire de Converse, total look noir,
lunettes rectangulaires noires, devraient agir comme autant de petits signaux
d’alarme. Pour les filles, tous les looks arty et/ou bohèmes sont à considérer
avec suspicion, mais c’est plus compliqué. Avec les filles, on ne peut jamais
savoir. Après, il va sans dire que sont potentiellement tabous galeristes et commissaires
d’expositions, tous les institutionnels de la culture, les
artistes, principalement ceux qui s’estampillent « plasticiens », et
les théâtreux, copains de blabla, qui partagent avec l’art contemporain le goût
de l’explication de texte. Donc là, le conseil, c’est « silence ».
A moins que l’interlocuteur n’envoie des indices par des mots clefs tels que
« charlot » ou « n’importe quoi » ou encore « alors là
je sèche », tenez-vous à carreau et continuez à observer et écouter du
coin de l’oreille ce qui se dit autour de vous…
Mais on ne peut pas tout le temps garder la bouche pleine... Et là se joue la partie la plus délicate. Vous avez encore quelques minutes de répit en attrapant un gobelet en plastique et en avalant de grandes gorgées de liquide pour faire passer la petite collation. Vous pouvez réitérer le petit sketch de communication non-verbale ci-dessus évoqué - les roulements d’yeux, la main agitée comme si vous aviez très chaud et très honte - mais après la déglutition finale, il faudra bien y aller.
Les trois quarts des gens ici présents n’ont pas eu à la faire ? Je sais, c’est injuste.
Pas de bol. Peut être n’avez-vous
pas été assez rapide ? N’auriez-vous pas pu prendre le bras d’une amie
juste à la sortie pour lui murmurer une petite confidence, lui rapporter une
anecdote, un truc qui commence par « Tu
sais pas ??? Je… ». Vous
auriez échangé quelques mots ensemble en riant de concert jusqu’au buffet et
c’était bon, sauvé. Tout le monde a oublié pourquoi il était là, une fois le
buffet atteint.
Donc, celui là, déjà, s’il déambule tout seul un verre à la main, c’est qu’il se fait chier parce qu’il ne connait personne. Et là vous tombez de Charybde en Scylla. Parce que le gars qui connait personne dans un vernissage, c’est lui qu’il faut à tout prix éviter. Souvent il est un peu moche, ou un peu vieux, ou les deux. Généralement non conforme aux codes vestimentaires en vigueur. Le boulet est rarement un type grand et bien bâti, au teint frais et sain du gars qui vit en plein air, les dents blanches derrière un bon sourire franc. Même si je dois avouer qu’on pourrait s’y tromper, non, Crocodile Dundee n’est pas un boulet. Le boulet parfois même, il sent de la bouche. Ne riez pas, vous savez bien que c’est vrai, qu’un malheur n’arrive jamais seul. Parce que ça vous est arrivé à tous. Ah oui. Pas forcément dans un vernissage, mais à un pot de fin d’année, un congrès professionnel, une invitation promotionnelle, une réunion de parents d’élèves, au Salon des chiots et petits chiens… Le boulet est souvent mal attifé, la chemise ou la veste qui tombe un peu, l’imperméable sur le bras. Il a souvent le poil un peu rare, la peau pâle, et il manque un peu de charisme.
Donc, là, c’est très simple, la seule technique possible c’est l’évitement. Ne jamais croiser son regard. Au besoin, loucher.
Après, même si on sait que le boulet est insensible aux signaux de communication non-verbale, on lui en envoie quand même quelques uns. La tête tournée systématiquement à l’opposé de là où il se trouve, le dos qui fait barrage. Ne pas hésiter à se tourner dans l’autre sens lorsqu’il passe et repasse, quitte à être grossier. Car grossier il faudra l’être à un moment donné ou à un autre il faudra en passer par là. Je sais, ça fait mal quand on a été élevé dans le respect du prochain, la charité envers les pauvres, les malades, les faibles, les exclus de la société…
Bon c’est comme vous voudrez mais je
vous aurais prévenu.
Et ben voilà. Voilà où nous en
sommes à présent. Le boulet est glué à vous comme une bernique au rocher depuis
une demi-heure de bavardage mou, inintéressant, de considérations molles sur
l’exposition, la qualité du champagne, quelques questions sur vous « Et vous venez souvent ? … Et
vous êtes… ? Ah, oui, ça doit être intéressant… ». L’ennui tombe
sur vous comme par hypnose, vous cherchez fébrilement comment vous débarrasser
de l’importun, mais comme ils sont malins, ces gens là, ils savent que jamais
ils ne doivent laisser retomber la pression, ne pas vous quitter des yeux une
seule seconde, pour que vous n’ayez pas le temps de repérer une bouée de
sauvetage, ne pas laisser le silence s’installer, jamais. Aussi la seule
alternative pour vous à ce stade, c’est l’impolitesse. Jamais personne ne viendra volontairement vous sortir de ce mauvais
pas pour prendre votre place.
Sinon, il y a la technique de pêche à faible distance. Dans votre entourage proche, cherchez bien, il y a forcément quelqu’un que vous connaissez un tout petit peu. Quelqu’un avec qui vous avez échangé un sourire une heure plus tôt fera l’affaire, ne chipotez pas. Même ce type que vous détestez, Benjamin, totalement imbu de lui-même et lunatique, allez-y, c’est vraiment pas le moment de faire le difficile, franchement. Faites semblant de rire très fort à ce que vous raconte le boulet et tournez-vous aussitôt vers Benjamin, comme si il loupait le truc le plus rigolo du monde. Avec un peu de chance, il se rapprochera pour partager avec vous ce moment de franche rigolade et c’est là qu’il faut jouer finement. Ferrer doucement le poisson. Reprendre n’importe quel élément de la conversation molle « Comme me le disait justement Monsieur Boulet à propos de l’exposition, l’artiste a vraiment un univers très fort !!! Je vous présente Benjamin, un spécialiste de l’art, Monsieur boulet ! Je vais nous chercher des verres, pendant que vous papotez ensemble, hmmm ? Je reviens tout de suite ! » Le tout avec l’air le plus pimpant possible. Plein d’entrain, joyeux et vif. A aucun moment les protagonistes ne doivent se douter que vous ne reviendrez jamais.
Le conseil que je vous donne, c’est de vous tirer carrément. Si le lieu est très grand, vous pouvez sans risque ni honte passer le reste de la soirée planqué derrière votre copain Robert à grignoter des tartines et boire du jus de papaye tout en faisant se tordre vos amis à la narration de votre forfait, mais le plus sur c’est tout de même de vider les lieux. Parce que non seulement Benjamin risque n’avoir apprécié votre coup de pute que très moyennement, et venir vous le faire savoir vertement, mais aussi parce vous n’êtes pas à l’abri d’une deuxième salve de monsieur boulet.
Revenons à la dernière gorgée de blanc.
Vous vous êtes raisonné. Après tout, une petite compromission, ça n’a jamais fait de mal à personne, et puis, au fond, vous restez bien campé sur vos positions, vous avez votre opinion pour vous, n’est-ce pas l’essentiel ?
Et vous avez quand même eu trois ou quatre saucisses cocktail pour réfléchir...
Toujours pas la moindre petite idée ?
Bon.
D’accord.
Je vous aide.
Encore mieux, l’une de
mes très chères amies, me parlant d’une exposition à laquelle elle s’était
rendue il y a quelques jours, m’en a sorti spontanément une très très bonne,
qu’elle s’attend à trouver ici, puisque dans la seconde où elle s’est aperçue
en rougissant de ce qu’elle venait de dire j’ai sorti mon calepin pour le
noter.
« Y a truc qui n’est pas inintéressant mais j’arrive pas à cerner
quoi ».
Je jure que c’est vrai.