Le Club - Acte I - Scène II (1ère partie)
Tout le monde est descendu du train, les valises cul par-dessus tête, les manteaux en vrac, les six se retrouvent sur le quai désert, regardant le train s’enfuir d’un air impuissant.
Rémi : Bon.
Une bonne chose de faite.
Tout le monde est là, on n’ira pas plus loin, on va rentrer à Lorient
tranquillement, on sera à l’hôtel dans une heure à tout casser.
C’est pas mal Quimperlé, hmm ?
Petite gare, jolie petite gare, ça rappelle les vacances de quand on était mômes,
la Normandie ?
Christophe : Oui oui.
L’ambiance La Baule les pins, les épuisettes, les parasols, les chapeaux
de plage.
On a voyagé toute la journée et on arrive dans une de ces toutes petites
gares de province pleines de charme. Arcachon, Collioure, Sanary sur mer,
et sur le quai il y a Mémé, la gare est pleine de monde, Mémé agite le bras,
on crie Ouhou, Mémé attrape les épuisettes et nous pince les joues en disant
« ça va ? vous avez fait bon voyage ? pas trop fatigués ? vous avez rien
oublié dans le train au moins ? »
Rémi : Ah oui tiens, en parlant de ça. Vous avez tout ? Rien oublié ?
Faites un peu l’inventaire, pour voir…
Marion : rouge et toute échevelée, fouille dans un grand sac à carreaux d’où émerge un bouillon de pulls à fleurs, d’écharpes de couleur. Elle gratte et vérifie d’un air satisfait, avant de s’attaquer à un autre grand sac rempli de chaussures, qu’elle renverse sur le quai, se mettant à compter les paires…
Huit, neuf, dix, le compte est bon ! Oh, je m’inquiétais pas trop mais on ne sait
jamais…
La dernière fois que je suis partie en résidence à La Chartreuse je n’avais que
24 paires de chaussures mais j’ai trouvé le moyen d’en perdre une à la gare.
Une chaussure, hein, pas une paire !
Oh la la mais qu’est ce que j’étais malheureuse… D’abord pour cette paire
coupée en deux, inutile, une pauvre petite orpheline très très triste,
cette chaussure, qui était très jolie, avec des petites marguerites dessus, qui se
retrouvait dans un environnement inconnu, une gare, sale, sombre et froide.
T’imagine ?
Bon et puis c’est toujours la même chose, arrivé là bas, même si je n’avais
qu’une chose à faire là bas : boire des coups écrire
et encore boire des coups écrire, c’est forcément cette paire là que j’aurais
vraiment, sincèrement, frénétiquement, absolument voulu mettre…
Nathalie : l’air rêveur
C’est comme une escale dans un monde endormi.
Ecoutez comme tout est calme.
Immobile. Ecoutez ce rien. Sentez vos souffles dans l’air de la nuit.
Il n’y a absolument personne.
Et en même temps ça vit, ça frémit, ça vibre, ça bourdonne,
ça clignote, ça attend, une gare.
Pourtant, là, je sens que nous sommes désespérément, irrémédiablement
seuls.
Aucun espoir que quelqu’un apparaisse. Et ça ne m’inquiète pas.
Nous sommes là, seuls dans cette nuit, voyageurs échoués,
comme des Robinsons au bord du quai, on compose un tableau, un groupe.
Au bord de ce quai on est comme au bord d’une scène, vous ne voyez pas ?
Rémi : Il fait le tour de Nathalie, soucieux, les sourcils froncés, l’examinant comme une mère son enfant avant de partir à l’école. Il farfouille dans les poches de Nathalie, soulève le rabat de son sac, vérifie qu’elle a ses clopes et son briquet, les regarde, lui en pique une au passage, l’air de dire « oh oui, tiens pourquoi pas », compte ses sacs et ses valises…
Manteau, écharpe, chaussures, sac à main, tout est là, l’ensemble est complet
sur elle…
Un sac de voyage, okay. Bon sang, Nathalie, ce truc en cuir de chameau
qui pue, tu l’as depuis 1975, non ?
Ecoute pas Marion, t’étais pas née, on le sait.
Christophe : Moi, il y a des fois où ça me fait drôle quand même, de savoir qu’au moment où
je fumais mes premiers joints place de la Liberté elle pissait dans une
couche culotte dans un berceau de la maternité d’Aurillac…
(à suivre)